Comment s’est passé votre premier contact avec Thierry et Pascal ?
Le premier contact avec Thierry s’est passé en mai de l’année précédant le tournage. On a établi tout de suite un bon contact parce qu’on a un petit peu une vie en parallèle. On vient tous les deux de Charleroi, d’un milieu ouvrier, d’une région industrielle, avec notamment des charbonnages. Ça nous touche tous les deux un peu de la même façon, donc ça s’est vraiment très bien passé. On a accroché toute de suite mais j’ai hésité. Je me suis demandé « est-ce que je vais le faire ? Est-ce que je ne vais pas le faire ? ». Et plus tard, j’ai rencontré Pascal. Tout à fait différent évidemment, ce n’était pas le même contact parce que là, les rapports étaient déjà plus ou moins établis avec l’équipe. Mais ça s’est très bien passé aussi, vraiment. Dans la très bonne humeur.
Pourquoi avoir accepté ce projet de film ?
J’ai accepté le projet de film quand on me l’a proposé, mais je ne l’ai pas accepté directement. J’ai voulu y réfléchir d’abord parce que c’est un travail très différent de ce que je fais habituellement, moi qui travaille uniquement avec des enfants. Donc, j’allais me trouver dans une situation avec des adultes, des gens qui allaient être dans ma classe, qui allaient filmer les enfants. Je ne savais pas du tout comment les enfants allaient réagir parce que je sais comment ils réagissent avec moi, mais avoir d’autres personnes en classe évidemment ça change un peu les rapports. Mais d’un autre côté, c’était une expérience exceptionnelle parce que ce sont des moyens que nous n’avons pas dans les écoles évidemment. Travailler avec des professionnels c’est toujours un plus
Je pensais que ce serait un gros plus pour mes élèves. Et à partir du moment où je sais que mes élèves vont apprendre des choses, vont travailler en s’amusant, vont rencontrer des gens qu’ils n’auront peut-être plus jamais l’occasion de rencontrer, et peut être que ça leur donnera pour plus tard une idée de ce qu’ils pourraient faire, je pense que c’était une occasion à saisir, il ne fallait surement pas la rater. Même si au départ, j’étais un peu réticente parce que je ne savais pas trop ce que j’allais moi faire là-dedans, mais ça m’a apporté aussi beaucoup, donc c’était parfait.
Le tournage en lui-même, comment s’est-il passé ?
On a eu un premier contact lors de la visite du charbonnage de Cheratte avec les enfants et d’anciens mineurs. Ça, ça été le tout premier contact. Puis, après, on a réellement commencé le tournage le premier septembre, jour de la rentrée en accueillant les parents, les enfants. C’est ce jour-là que je me suis rendue compte un petit peu de ce dans quoi je m’étais engagée, c’est-à-dire avoir une équipe derrière moi, avoir des gens qui me suivaient en permanence, avoir un micro, avoir cette impression que tout le temps quelqu’un m’écoutait. C’est vrai qu’on n’est pas habitué. Avoir 12, 15 ou 20 enfants dans sa classe c’est beaucoup moins impressionnant que d’avoir 3 ou 4 adultes qui sont là en permanence. Tout à fait un autre public.
Justement, est-ce que cela a changé votre façon de donner cours et de travailler ?
La façon de donner cours, non parce que je travaille toujours par projet dans l’école. On travaille par projet donc, la façon de donner cours ça n’a pas changé. Ce qui a changé c’est de devoir faire un peu attention à la réalité de la classe, à avoir des caméras, ne pas passer n’importe où, ne pas avoir des regards vers les cinéastes. Ça été très difficile pour moi au début parce que, par habitude quand on est avec des enfants, on les regarde tous, il faut toujours les avoir tous à l’œil, il faut toujours qu’ils sentent qu’on s’intéresse aussi à eux et pas seulement aux autres. Donc, on balaye un peu la classe avec le regard. Et là il fallait balayer mais sans m’arrêter sur certaines personnes qui étaient là alors que d’habitude il n’y a pas. Donc, ce n’était pas facile. Par contre, pour les enfants, eux, ça s’est très bien passé, comme s’il n’y avait personne. Donc ils ont été très naturels, beaucoup plus naturels que moi au départ.
D’un point de vue plus personnel, en dehors de la classe, comment est-ce que vous avez vécu ce tournage ?
Au départ, quand on a commencé à tourner, je n’étais vraiment pas très bien parce que je ne savais pas du tout ce qu’il fallait dire, fallait faire, comment être. Et puis cette idée de l’image, on ne sait pas très bien non plus ce que ça pourrait donner dans le film donc pas très à l’aise au départ et puis petit à petit, comme les contacts étaient bons avec l’équipe, que les enfants marchaient du tonnerre dans le projet, ça s’est vraiment très bien passé.
Y a-t-il eu des difficultés particulières avec les enfants au début ? Comme cela a-t-il évolué au fur et à mesure du tournage ?
Les enfants ont tout de suite adhéré au projet. Eux n’ont pas eu peur, ils étaient beaucoup plus à l’aise que moi et ça se ressentait très fort dans la classe. Moi, j’avais tendance à regarder la caméra quand il ne fallait pas. Mais par contre, les enfants, eux, c’était comme si ça n’existait pas. Ils étaient très demandeurs. Dès le départ, tous les jours, c’était « ils viennent demain ? », « qu’est-ce qu’on fait après ? ». Ils ont vraiment établi un contact très très fort avec tous ceux qui sont venus parce qu’il y a eu non seulement les deux cinéastes mais il y a avait aussi les preneurs de son qui n’étaient pas toujours les mêmes. Ils ont vraiment eu un contact d’emblée qui était très fort et qui s’est maintenu pendant toute la durée du tournage. Et encore maintenant, ils n’attendent qu’une chose, c’est la sortie du film. Donc, ils sont présents. Même ceux qui ont quitté ma classe passent très souvent pour savoir quand ça va arriver. Ils sont toujours demandeurs.
J’imagine qu’il y a quand-même eu quelques difficultés parce que c’est un tournage relativement long. Est-ce que vous avez des exemples ou des choses qui, peut-être, étaient plus problématiques ?
On n’a pas eu trop de problèmes pendant le tournage, ça s’est vraiment bien passé. Je n’ai pas vraiment d’anecdotes à raconter où il y aurait eu vraiment des problèmes entre les enfants, l’équipe. Parfois, ce qu’ils voulaient c’était être plus présents dans le film donc ils étaient tous en attente et de se dire : « et moi, quand est-ce qu’on m’interviewe ? Moi, quand est-ce qu’on me demande mon avis ? Quand est-ce que, moi, je vais faire quelque chose qui sera filmé ? ». Donc, parfois ils se bousculaient un peu pour y aller mais c’était toujours positif, ce n’était pas négatif. Ça n’a jamais été « celui-là va plus que moi devant la caméra, celui-là moins ». Ils étaient vraiment tous ensemble dans le projet. C’était vraiment un projet commun et ça l’est resté jusqu’au bout.
Est-ce qu’il y a eu des moments particulièrement comiques ou des choses totalement imprévisibles avec les enfants pendant le tournage ?
Il y a toujours des choses imprévisibles qui se passent quand on tourne, parce qu’on ne connaît pas à l’avance les réactions des enfants. Et ça, on est surpris tous les jours quand on travaille avec des enfants, donc forcément pendant le tournage aussi. Mais il n’y a pas d’anecdote où il y a vraiment eu des problèmes. C’était dans la bonne humeur, des moments hors tournages qui étaient vraiment très conviviaux où les enfants jouaient au kicker par exemple avec les cinéastes.
J’imagine qu’un tournage dans un cadre aussi restreint pose des difficultés. Est-ce que vous avez des souvenirs en particulier de choses qui ont posé problème ?
Des difficultés, on en n’a pas vraiment eues parce que ça s’est bien passé. Maintenant, il faut s’adapter à la situation, à avoir l’équipe qui est là, donc à se dire qu’il ne faut pas trop se déplacer, qu’il faut mettre les enfants, quand on travaille en groupe par exemple, de manière à ce qu’ils puissent tous être dans le champ des caméras ou des choses comme ça. Donc, ce sont des petits problèmes techniques. Bon, à force, on s’y habitue et on sait un peu comment réagir. Mais c’est vrai, qu’au départ, on ne sait pas du tout ce qu’il faut faire. Oui ça été parfois un petit peu bizarre, autrement.
Est-ce qu’il y a eu en particulier des souvenirs drôles, comiques, des choses que les enfants ont faites qui n’étaient peut-être pas prévues à l’origine ?
Parfois, les enfants avaient des réactions pour faire un petit peu tout ce qu’ils pouvaient pour se faire remarquer. Des petits sourires, des petites blagues, essayer de se mettre en valeur. Bon, c’est vrai qu’ils avaient tous envie d’être dans le film donc il fallait un peu se faire remarquer. Mais dans l’ensemble, c’est passé de manière naturelle en classe. On travaillait et bon, on était filmé mais on travaillait comme on travaille habituellement. Donc les enfants ont toujours travaillé. Par contre, en dehors du tournage, là c’était un peu la rigolade. Ils s’amusaient beaucoup avec les cinéastes. Ils étaient peut-être un peu entre enfants. Ils jouaient ensemble, des parties de kicker, des parties de foot. Comme s’ils avaient eu des élèves en plus dans la classe, c’était un peu ça. C’était vraiment très récréatif.
Est-ce qu’il y a eu un moment en particulier qui vous a touché plus que d’autres durant le tournage ?
On a eu des parties de plaisir avec les enfants quand on était, par exemple, dans la rivière. Quand ils sont allés dans l’Ourthe, ils se sont beaucoup amusés, peut-être plus encore que d’habitude. Ils se sont un peu lâchés parce qu’ils savaient que c’était filmé et que ça laisserait des traces évidemment ces images-là. Il y a eu des moments émouvants aussi quand certains enfants devaient prendre la parole et qu’ils devaient expliquer certaines choses, gérer des petits conflits entre eux. A ce moment-là, évidemment, il fallait expliquer, il fallait parler, il fallait les faire parler. Et c’est vrai qu’il y avait des situations parfois un petit peu avec les larmes aux yeux de se dire que tout ça va être filmé et peut-être se retrouver dans le film. C’était un peu amusant et un peu émouvant par moments.
Quel bilan faites-vous de cette expérience ?
C’est un bilan très positif. C’est une classe que, moi, je n’oublierai jamais et je pense, une année qu’eux n’oublieront jamais. Ils ont été très marqués par ce tournage. Ils ont participé mais vraiment à fond. Pour eux, c’était un vrai bonheur d’être avec les cinéastes. Quand ils n’étaient pas là, c’était toujours : « quand vont-ils arriver ? Quand est-ce qu’ils viennent ? Qu’est-ce qu’on va faire ? Ils seront avec nous quand ils feront telle ou telle activité ? ». Ça a fait partie de leur vie pendant un an et ce n’est pas terminé parce qu’encore maintenant, ils viennent me retrouver en me demandant : « quand le film va sortir ? Quand est-ce qu’on va les revoir ? Quand est-ce qu’ils viennent ? Où est-ce qu’ils sont ? Qu’est-ce qu’ils font ? Est-ce qu’ils travaillent avec d’autres enfants maintenant ? » ; Ils ont plein de questions encore. Pour eux, ce n’est pas fini. Mais c’est une année qui, j’en suis certaine, restera gravée dans leur mémoire.
Avez-vous une certaine appréhension à l’idée de découvrir le film ?
Non, je n’ai pas d’appréhension. Je pense que, quand on travaille avec des professionnels, comme je pense être une professionnelle, les parents me font confiance donc moi je fais confiance à une équipe de professionnels également. Je n’ai pas d’appréhension, je suis certaine que ce sera bien. J’ai vécu tout le tournage ou presque. Il y a quelques séquences qui ont été tournées en dehors de ma présence mais quand-même assez peu parce que les enfants sont quand-même presque tout le temps avec moi. Donc, je suis certaine que ce sera bien. Je n’ai aucun doute là-dessus.
D’autres choses vous viennent-elles à l’esprit ?
Une chose est certaine c’est que, si c’était à refaire, je le fais directement, sans aucun doute. Je ne mettrais pas 3 mois à me décider. Je pense que les jeunes enseignants doivent se lancer dans des choses comme ça. Il ne faut pas rater des occasions pareilles, offrir un projet comme ça à des enfants. C’est exceptionnel, on rencontre ça une fois dans sa vie. Moi, ça m’est arrivé, je n’aurais jamais imaginé que ça allait arriver. Si on propose, il faut foncer. Inoubliable.